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L’agriculture biologique qui, par définition, interdit le recours aux produits chimiques, implique souvent une compensation par le passage récurrent d’outils sur les parcelles. De plus en plus d’agriculteurs en AB souhaitent aller vers une réduction du travail du sol pour des raisons financières, climatiques, agronomiques et pour gagner du temps.
Si concilier agriculture biologique et agriculture de conservation des sols paraît être un pari ambitieux, certains agriculteurs implémentent des techniques d’adaptation. C’est le cas de Jonathan Costes, membre AgroLeague, éleveur laitier bio dans le département du Lot, à la limite du Cantal. Installé depuis 2010 avec son père sur 45 ha avec 32 vaches laitières, il a démarré sa transition en agriculture biologique dès 2010 pour améliorer la valorisation de sa production. Il a décidé d’arrêter le labour en même temps que son passage en bio pour réduire les charges de mécanisation et pour des raisons agronomiques. Suite aux incidents climatiques qui se sont enchaînés, il a décidé d’aller plus loin dans la démarche et a acheté son propre semoir pour le semis direct il y a 2 ans.
Comment a-t-il réfléchi sa stratégie d’adaptation pour concilier ACS et AB ? Comment l’a t il implémentée ? Quelles sont les échecs et les réussites qu’il a rencontrés ? Le retour d’expérience d’un agriculteur qui pense et cultive différemment.
Jonathan, peux-tu revenir sur l’historique de ta transition vers de l’ACS en bio ?
J’ai décidé d’arrêter le labour en même temps que la transition en agriculture biologique. Il faut savoir que notre ferme est basée sur un système herbager, on cherche à pâturer au maximum et en plus on possède un séchage en grange donc on arrive à faire de la qualité avec de l’herbe. Le principal problème c’est pour casser les prairies. Avant, on faisait jusqu’à 6 passages de travail superficiel, on s'est vite rendu compte que ce n’était pas la solution. On a testé le déchaumeur à disques mais on a remarqué que cela augmentait les problématiques d’adventices (rumex et chiendent). En passant au déchaumeur à pattes d’oie, on a vu une grosse différence. On ne faisait plus que 2-3 passages pour contrôler les adventices. Mais ce n’était pas encore satisfaisant.
Le déclic est survenu en 2019 suite aux sécheresses successives. Il fallait repenser le système dans sa globalité pour redevenir autonome en fourrage, car depuis 2018, on achète environ 60 tonnes de foin par an. De plus, on est 2 sur l’exploitation, donc on ne s’en sortait plus financièrement. Mon père était déjà en pâturage tournant dynamique depuis 25 ans. Mais avec les conditions sèches, ça ne marchait plus car on surexploitait les prairies dans de mauvaises conditions. En système laitier, c’est un vrai problème car il est compliqué de mettre en place un pâturage régénératif. À ce moment, j’ai décidé de changer mon fusil d’épaule. J’ai fait mes recherches sur les différentes techniques d’ACS. Le retour d’expérience de Gabe Brown, un ACiste américain qui a écrit « From dirt to soil », m’a vraiment ouvert l’esprit et m’a conforté dans l'idée que c'était possible, il fallait juste réussir à l’adapter en système laitier.
Quelles stratégies d’adaptation as-tu mises en place ?
Avant, j’avais une gestion plutôt classique de mon troupeau. On avait des vêlages toute l’année, mais avec les sécheresses successives et des printemps de plus en plus aléatoires, c’est devenu récurrent d’arriver en juillet et de devoir rentrer les vaches jusqu’à fin septembre.
L’objectif maintenant est d’avoir le minimum de vaches en production en été, pour ça on a groupé les vêlages en septembre-octobre. J’ai mis en place une rotation avec 6 à 8 ha de méteil fourrager suivis par des couverts d’été. En tarissant début juillet, on a un maximum de vaches introductives l’été, ce qui va nous permettre d’exploiter les couverts en pâturage r��génératif début juillet jusqu’au 15 août. Le but est d’implanter les couverts de mi-avril à fin-mai pour que les premiers semés aient déjà une bonne biomasse début juillet.
Comment as tu commencé à implémenter le semis direct ?
Même si le déchaumeur à pattes d’oie scalpe bien les prairies multi espèces, ça laisse des grosses mottes ou des grandes trainées de feutre qui compliquent le semis. J’ai commencé à implémenter en semis direct en 2019 pour recharger les prairies qui ont pris un coup pendant l’été : ça permet de garder l’humidité du sol.
Cet hiver, j’ai acheté un semavator pour broyer et semer en même temps. L’objectif est d’utiliser le semavator pour casser les prairies et partir sur une rotation en semis direct prairies - méteils fourragers - couverts d’été multi espèces (sorgho fourrager, millet fourrager, teff grass, vesce commune, 4 trèfles d’été, fenugrec, colza fourrager, sarrasin, avoine). Les méteils fourrager sont composés d’avoine, seigle, pois, vesce, féverole. Cet automne, on va rajouter un peu de ray-grass et de trèfle incarnat qui seront soit pâturés soit fauchés. J’ai prévu de les passer en couverts d’été en semis direct fin mai.
Quels ont été les réussites et les échecs que tu as observés ?
Mon premier essai de semis en direct de prairies a été un échec. Pas forcément au niveau du semis car la levée a été plutôt bonne. Le souci est venu quand la sécheresse est arrivée : les prairies ont grillé, et dans les 10 jours suivants, les couverts aussi. J’ai commencé à semer au 20 mai. Ensuite, on n’a presque pas eu de pluie de fin juin jusqu’à fin septembre à l’exception de 15 mm de pluie mi-août. Les espèces qui ont survécu sont le tournesol et le colza.
Je vais continuer à faire des méteils fourrages dans les prairies en fin d’été. L’idée est de semer en août-septembre dès qu’il y a plus de 15 mm de pluie. Dans ce cadre, la date de semis est essentielle. J’ai fait un essai sur une même parcelle à des dates de semis et des doses différentes : semis précoce en septembre à 60-70 kg/ha sur une moitié de la parcelle et semis 3 semaines plus tard à 150 kg/ha sur l’autre moitié afin de comparer la modalité semis précoce à densité légère ou semis plus tard à une plus forte densité. J’ai vu une vraie différence entre les deux modalités. La partie semée à double dose a été un échec, on voyait les lignes mais ça n’a pas poussé. Tandis que celle avec le semis tôt dans le mois n’a pas mal fonctionné.
Par ailleurs, je pense à intégrer la betterave fourragère dans ma rotation. L’objectif est soit de récolter le méteil fourrage de bonne heure puis de passer un coup de strip-till et de planter la betterave, soit d’implanter un couvert d’hiver, de le rouler et de planter la betterave dedans. De ce que j’ai vu autour de moi, planter la betterave a de meilleurs résultats que de la semer. J’ai vu des collègues agriculteurs doubler leurs rendements en plantant plutôt qu’en semant. Quand on sème, on doit faire 3 passages de bineuse et c’est dur de maintenir un bon état de propreté en bio.
Quand on plante la betterave au stade à 3-4 feuilles, elle couvre plus vite le rang donc ça limite la levée des adventices par concurrence à la lumière. Le principal frein vient du surcoût dû à l’achat des plants (100€/ha pour le semis contre 2500€/ha pour la plantation). Si je me lance dans la plantation, il faut que je produise mes propres plants. Les principales contraintes actuelles sont le matériel et le temps. Je vais trouver une vieille planteuse 4 rangs avec un strip-till devant. Je vais faire des essais sur 1 ha. Si j’arrive à avoir un rendement moyen, ça me permettrait d’avoir 2 mois de betterave pour les début de lactation (septembre, octobre).
Le mot de la fin
Il y a des idées, il faut désormais que j’arrive à les adapter à mon contexte local. En bio, on ne fera pas tout avec du semis direct, et l’élevage est essentiel dans la démarche. Mais les pistes d’adaptations sont encourageantes.
J’aime beaucoup tester des choses. J’ai fait des essais d’enrobages de semences. Je vais essayer la fertilisation localisée sur méteil à l’automne : application d’engrais organique sur la ligne de semis. Quand je casse les prairies avec le rotavator, je vais essayer la pulvérisation de ferments. Je pense qu’il faut s’enrichir de l’intelligence collective pour alimenter sa propre réflexion, mais que la réflexion se fait en essayant des choses et en itérant.
J’ai appris récemment que l’institut d’Allan Savory, un agronome zimbabwéen à l’origine de l’approche du management holistique, travaillait sur la ferme de “Dharma Lea” dans l’état de New York sur le pâturage régénératif. Il y a sûrement des pistes de réflexion de ce côté là.
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