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Félix Noblia est polyculteur éleveur allaitant bio dans le Pays Basque, à mi-chemin entre Pau et Bayonne. Après avoir repris la ferme conventionnelle de son oncle en 2008, il a décidé de changer son fusil d’épaule pour se diriger vers des techniques d’agriculture de conservation avant de convertir sa ferme au bio tout en continuant à pratiquer le semis direct. Il cultive aujourd’hui toute sa surface sans pesticide et presque sans travail du sol.
Dans ce troisième volet de L’Agronomie & Nous sur des retours d’agriculteurs bio qui pensent leurs modèles différemment, Félix revient sur l’historique de sa ferme. Pourquoi a-t-il décidé de changer son modèle ? Comment a-t-il démarré sa transition vers l’ACS ? Comment a-t-il adapté son modèle à l’agriculture biologique ? Un retour d’expérience très inspirant pour les agriculteurs qui cherchent à vivre de leur métier, à retrouver leur indépendance et à réduire l’impact de leurs systèmes agricoles sur l’environnement.
Félix, peux-tu nous expliquer l’historique de l’évolution de tes pratiques sur ta ferme ?
J’ai repris la ferme de mon oncle en 2008. La conduite était plutôt conventionnelle : labour intensif, rotations courtes, monoculture de maïs ensilage sur certaines parcelles. J’ai d’abord décidé d’arrêter le labour et d’allonger les rotations en 2011 pour essayer de retrouver de la fertilité dans mes sols. Outre le fait que de labourer dans des pentes importantes présente un risque réel, j’ai constaté que ça ne fonctionnait plus. Le structure des sols était très abimée (semelles de labour, zones de discontinuités), le taux de matière organique était excessivement bas, le pH était trop acide (jusqu’à 4,5 sur certaines parcelles). Ça nous arrivait parfois de devoir ressemer 3 fois du maïs car les levées étaient mauvaises. Rapporter une diversité de cultures avec des besoins nutritifs et des systèmes racinaires différents permet d’améliorer la fertilité du sol et de casser le cycle des ravageurs.
Le deuxième point de bascule est venu en 2013 après avoir assisté à une conférence de Lucien Seguy sur les intérêts économiques et agronomiques de l’agriculture de conservation. Cela m’a ouvert l’esprit sur comment la mise en place de couverts végétaux permet de maintenir une activité biologique dans le sol et active le cycle des nutriments par les exsudats racinaires. Comment ils permettent de faire proliférer le réseau des mycorrhizes dans le sol qui vont, par intéraction avec les plantes, rendre des éléments nutritifs et notamment l’azote soluble et assimilable pour les plantes en échange de carbone. Cela m’a convaincu que le semis direct sous couvert était possible et j’ai voulu me lancer à fond dedans. J’ai acheté mon semoir et ai commencé mes expérimentations sur les différents types de couverts et de cultures. Avec beaucoup de rigueur, de consistance et de précision, j’ai réussi à changer mes pratiques tout en améliorant mes marges et la fertilité de mon sol.
Mon système fonctionnait bien, mais je trouvais les passages avec le pulvérisateur trop récurrents. Je voulais arrêter de manipuler des produits chimiques, principalement pour ma santé. J’ai donc pris la décision d’entamer ma transition vers le bio en 2016.
Comment as-tu rendu ton système compatible avec le bio ?
Je cultive des grandes cultures (blé, méteil, maïs, tournesol, sorgho, colza) en semis direct sur une grande partie des 150 ha et j’ai un troupeau bovin pâturage tournant dynamique sur les couverts ou les prairies dans les zones en pente. Le système du pâturage dynamique est de laisser des animaux pâturer à forte densité/ha et sur un court laps de temps. Cela permet aux plantes de pleinement repousser et accélère leur vigueur. Les parcelles pâturées de cette manière vont produire de la biomasse plus rapidement, donc vont produire plus d’exsudats racinaires, plus de carbone dans le sol, plus d’activité microbienne et plus d’éléments nutritifs disponibles.
J’ai mené des expérimentations pour comparer différents types de couverts et déterminer quels mélanges fonctionnaient le mieux en fonction de la culture à semer derrière. Je me suis rendu compte que les légumineuses (pois et féveroles) étaient de meilleurs précédents pour le maïs que les céréales et les crucifères. Cela peut s’expliquer par le fait que le remariage des macro et oligo éléments dans la rhizosphère n’est pas le même et que la temporalité de disponibilité de l’azote est plus favorable pour les légumineuses que pour les autres espèces.
J’ai adapté mes pratiques d’ACS conventionnelle au bio : je sème des mélanges de couverts à rouler avec un rouleau FACA, quand ils ont atteint leur taille optimale, je sème mes cultures dedans. Le principal problème vient de la gestion des adventices. Quand les couverts ne sont pas suffisamment diversifiés, on constate l’apparition de plantes qui lèvent pour rééquilibrer le système, parfois des espèces que l’on n’avait pas vues depuis des années; surtout au Pays Basque où l’humidité entraîne la germination permanente des adventices.
La stratégie alternative, plus opportuniste, consiste à semer des méteils de blé, féverole, pois et à en observer l’évolution au fil de la campagne pour décider si l’on récolte ou pas. Si tout se passe bien, je moissonne. Sinon je le valorise en alimentation animale. Dans tous les cas, mon sol est couvert et à défaut de gagner de l’argent, ça sauve les meubles. J’ai 3 trieurs en copropriété pour pouvoir effectuer le triage post récolte.
La deuxième limite de ce système c’est le manque de fertilité du sol. Quand on ne travaille pas ou peu le sol, il met plus de temps à se réchauffer et la minéralisation est plus lente. J’ai donc fait des expérimentations avec des pulvérisations d’EM (composés de micro-organismes) et j’ai commencé à implémenter les thés de compost oxygénés avec différentes modalités (sur la ligne de semis et en plein). Le principe des EM (« effective micro-organisms ») est de prendre des souches de micro-organismes que l’on multiplie avec de la mélasse et de l’eau. C’est un peu le même principe que les macérations de plantes, mais en prenant des souches de micro-organismes comme base. L’idée d’appliquer ces produits est de rapporter des organismes vivants dans le sol pour stimuler l’activité biologique. Les premières observations sur blé sont très encourageantes.
Quelles sont les prochaines expérimentations que tu as en tête ?
Pour la prochaine campagne, j’ai plusieurs pistes de travail en tête. Je pense notamment aux extraits de compost. La différence avec les thé de compost est qu’au lieu de sélectionner une flore aérobie, on extrait l’ensemble de la flore : à la fois aérobie et anaérobie. Dans ce cadre, les travaux de David Johnson, un chercheur américain très engagé dans l’agriculture de conservation, sont très inspirants. Il a découvert que le rapport entre les champignons et les bactéries dans le sol est essentiel à la productivité d'une plante dans des systèmes agricoles en sols vivants, et donc à l'efficacité de l'absorption des nutriments par la plante. Il augmente également de manière significative le taux de captage du carbone.
Je pense également à implémenter le strip-till en travaillant les futures lignes de semis et en injectant les EM dans ces bandes travaillées. Une autre option qui paraît intéressante est de localiser du compost sur les lignes de semis, comme de la fertilisation localisée mais avec du compost.
Le mot de la fin ?
En changeant mes pratiques, j’ai réussi à recréer une structure de sol favorable. En faisant des profils de sol, on constate que les semelles de labour ont presque disparu. Le sol est vivant et un probant dégradé de la matière organique depuis la surface vers la profondeur.
Mon objectif est d’être le plus indépendant possible, à la fois sur la partie intrants, production et aval. J’ai un système plus résilient et j’ai réussi à sécuriser la partie financière de ma ferme. J’ai réussi à réduire les charges autant que je le pouvais, maintenant l’objectif est d’aller plus loin dans la partie commercialisation en me focalisant sur la partie transformation et vente directe.
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