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"J’ai 33 ans. Mes parents sont agriculteurs et on est 5 frères et sœur. J’ai fait une école ingénieur agricole à Lille, au cours de laquelle j’ai pu aller en Nouvelle Zélande pendant 6 mois dans une exploitation laitière avec 1200 vaches dans l’île du sud. À la sortie de l’école, j’ai travaillé 1 an dans un négoce agricole puis j'ai eu l'opportunité de m'installer. Ayant toujours voulu repartir à l’étranger avant de m’installer, je suis reparti 1 an aux États-Unis sur une ferme céréalière de 25 000 ha dans le Kansas. Toute la démesure à l’américaine ! Ça m’a permis de découvrir un autre monde. La ferme était très impliquée dans les couverts végétaux, le SD, le no-till. Cette démarche m’a toujours passionné. Mon père l’était aussi. C’était l’un des premiers dans le coin à faire du sans labour. À la première norme nitrates, il a commencé à dire qu’il ne ferait pas de moutarde mais des couverts diversifiés. En 2007, il a aussi commencé à passer des parcelles en bio, 28 ha d’un coup. Aujourd’hui la partie bio représente 70 ha sur les 230 ha cultivés sur la ferme.
Quand je revenu sur la ferme en 2013, j’ai repris une exploitation à 10 minutes de chez nous. Je me suis associé avec mes parents. Mon père m’a dit : « Dans 20 ans, c’est toi qui sera là. C’est toi qui prends les décisions. » Mon père m’a laissé libre de faire ce que je voulais. On n’a pas eu de conflit générationnel. Au début j’ai commencé par tester des choses sur des petites parcelles ou des bandes. Petit à petit, par étapes.
La force de l’exploitation, c’est la famille - comme dit mon père, il y a un renard dans chaque poulailler : chaque frère a son domaine.
Aujourd’hui, nous sommes 3 frères sur la ferme : mon grand frère est installé sur la partie bio et il est paysan/boulanger ; il fait du pain au levain avec la farine du blé bio de la ferme (450 kg de pain par semaine), mon petit frère s’occupe de toute la partie mécanique/entretien et la conduite des engins. Pour ma part, je m’occupe de toute la partie conventionnelle et la partie ETA. Nous avons également un salarié à temps plein et mon père est toujours actif sur la ferme.
J’ai un fort tempérament. Je veux être mon propre patron, travailler à l’extérieur, au contact du vivant. Et j’ai envie de faire évoluer un système tourné vers les sols, pour répondre aux enjeux colossaux à venir. Aux US, j’ai vu qu’ils avaient un train d’avance. Quand je suis revenu, j’ai adhéré à des groupes d’agriculteurs innovants et qui voulaient faire évoluer le système. J’ai toujours eu envie de faire avancer les choses; hors de question de m’installer et de faire comme avant. J’avais dans l’idée de changer les pratiques, de continuer et d’amplifier le travail de mon père.
La clé de mon système, ce sont les couverts, avec des mélanges de 10 à 12 espèces minimum. On a un système qui est principalement basé sur les cultures industrielles (lin, pommes de terre, betteraves sucrières), le reste en blé et colza. Les cultures industrielles déstructurent le sol et pompent la matière organique. Je veux rapporter du carbone d’une autre façon. Les couverts sont semés en direct en même temps que la moisson (le jour même ou le lendemain) car la terre est encore fraiche et avec de l’humidité. J’ai horreur de semer du blé - mais cette année j’ai pris un plaisir fou : semer en direct dans du vert et ne pas perturber le sol. Si je sème en TCS ou avec travail du sol, je me fais du mal. J’essaye de concentrer les cultures industrielles en 2 ans suivis par 4 ou 5 ans où je reconstruis le sol. J’ai une rotation de 5 ou 6 ans avec des couverts tous les ans ou tous les 6 mois. Pour moi, les couverts sont comme une culture. Il faut trouver l’équilibre entre la partie économique et mon envie intérieure. Je déstructure mais je reconstitue derrière. Couverts, semis direct, compost : même après des pommes de terre, on ne part pas de zéro.
J’étais à un moment où j’avais envie d’aller plus loin quand j’ai rejoint AgroLeague. AgroLeague ne vend rien à part du conseil technique pur et dur. Je voulais aussi me regrouper avec d’autres personnes qui ont la même approche globale d’un système que moi. On est tous à vouloir essayer des choses. Il y a toujours un référent pour tous les sujets qu’on souhaite aborder. Le groupe est toujours plus fort que le plus fort du groupe. C’est ça qui m’a motivé à rester dans la voie que j’avais prise. L’avantage d’un groupe, c’est que quand tu te plantes, généralement tu n’es pas le seul; et le groupe te re-motive pour continuer et te dire qu’on va y arriver.
Pour moi, le sol ce n’est pas un support, c’est un être vivant. Il faut en prendre soin, lui donner à manger; le déstructurer le moins possible et si ça arrive, le reconstruire. On essaye de faire bien en amont et en aval pour limiter la casse. En tant qu’agriculteur, on a la chance d’avoir le sol qui nous permet de faire pousser les plantes, qui elles-mêmes permettent de stocker du carbone et de pomper de l’azote. On peut tout faire avec les cultures. Elles ne le feront bien que si les sols sont en bonne santé. Les aspects écologiques seront hyper importants pour la ferme du futur, et les agriculteurs sont la base du système. Si on arrive à stocker plus de carbone qu’on en consomme, en valorisant les agriculteurs, alors on a tout gagné. »
Benoit, membre AgroLeague installé en Seine-Maritime
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